La nature a voulu que je sois gauchère et je peux vous dire que cela n’est pas forcément facile tous les jours. Le mot "gauche" est connoté très négativement dans la langue française. La première remarque évidente, c’est que le mot "gauche" sert en effet à désigner une personne maladroite. Il faut savoir que le mot "gauche" se dit "sinister" en latin. Dans l’Antiquité, les oiseaux qui venaient de gauche étaient considérés comme des oiseaux de mauvais augure tandis que ceux venant de droite étaient de bon augure. De ce mot "sinister" est évidemment tiré le mot français "sinistre" qui peut désigner tout un tas de malheurs : incendie, inondation etc. Dans la vie quotidienne, la main droite est souvent considérée comme la bonne main : c’est elle qui est utilisée pour serrer la main, pour faire le signe de croix ou pour prêter serment : "Levez la main droite et dites je le jure". Dans l’inconscient populaire, à cause de toutes ces connotations négatives, le gaucher est parfois mal vu.

Comme je l’ai dit plus haut, je fais partie de cette population de gens anormaux qui utilisent de préférence leur main gauche. Quand j’étais bébé, je suçais mon pouce, le pouce droit plus précisément. Cela laissait ma main gauche disponible pour autre chose. Quand je suis rentrée en maternelle, dès qu’il a fallu commencer à faire des collages ou du coloriage, j’utilisais toujours ma main gauche. En dernière année de maternelle, l’apprentissage de l’écriture a réellement commencé et mes ennuis sont arrivés à ce moment-là. Mon institutrice était relativement proche de la retraite. Elle avait des idées bien précises sur tout, et notamment un avis très négatif sur le fait que je sois gauchère. En effet, je ne sais pour quelle raison, les activités d’écriture qu’elle nous proposait n’étaient pas faites au stylo ou au feutre mais à la peinture. La difficulté était donc double : il fallait réussir à former les lettres et à maîtriser le pinceau, ce qui n’est pas forcément facile, surtout pour écrire ! Je me souviens en particulier de l’écriture de mon prénom qui est assez compliqué : Cynthia. Une grande boucle vers le bas pour le y, une grande boucle vers le haut pour le h...Quelle galère pour la pauvre petite fille que j’étais ! L’institutrice a immédiatement attribué mes difficultés au fait que je sois gauchère. Elle a tenté de me faire tenir le pinceau de la main droite, mais j’étais encore plus mauvaise. Elle a alors convoqué mes parents pour leur expliquer que ma vie allait être gâchée par cela et que "le monde appartenait aux droitiers". Mes parents ont eu la force de lui résister et ils l’ont contrainte à me laisser écrire de la main gauche. Les années qui ont suivi, aucune autre institutrice n’a tenté de me faire changer de main. J’ai été une élève modèle, toujours première de la classe, et mes cahiers étaient toujours montrés en exemple car j’avais une très belle écriture, contrairement à l’idée souvent répandue que les gauchers écrivent mal.

Malgré tout, une vie de gaucher, ce n’est pas toujours facile. Tout autour de nous est fait pour les droitiers (il faut croire que mon institutrice de maternelle n’avait pas si tort que ça...) Vous, chers amis droitiers, essayez par exemple d’éplucher une pomme de la main gauche et vous comprendrez quel calvaire les gauchers peuvent parfois endurer. J’avoue que depuis que j’ai un économe spécial pour gauchers, ma vie a été radicalement transformée. Avant, je mettais 10 minutes à éplucher une pomme, maintenant je fais ça en un temps record. Les souris d’ordinateurs sont également faites pour les droitiers. Je me contente de la mettre à gauche mais je n’ai pas inversé le sens des boutons et je m’en accommode. De nombreux autres objets de la vie courante sont faits pour les droitiers : des tire-bouchons, des ciseaux, des ouvre-boîtes, des tasses décorées qu’il faut tenir de la main droite pour voir le décor, des instruments de musique (la guitare est par exemple d’accès plus difficile pour un gaucher que pour un droitier)...Le gaucher est donc sans cesse obligé de s’adapter à un monde pas vraiment fait pour lui et cette capacité d’adaptation est finalement une force. Il paraîtrait aussi selon certaines études que les gauchers ont plus de connections nerveuses entre les deux hémisphères de leur cerveau, ce qui les rendrait peut-être plus intelligents que la moyenne. Dans le domaine sportif aussi, être gaucher présente certains avantages. Pour la boxe ou le tennis par exemple, l’adversaire droitier devra faire face à un jeu en miroir, et aura ainsi plus de difficultés. Etre gaucher peut donc être une force plus qu’une faiblesse.  Au niveau statistique, il semblerait que seulement 10% des Français soient gauchers. J’ai été assez étonnée en prépa, car nous étions 10 gauchers sur une classe de 40 élèves, ce qui fait 25% de gauchers ! Il faut croire que le fait d’être gaucher donne des prédispositions pour les mathématiques. Certaines études montrent que l’utilisation des deux hémisphères et l’existence de nombreuses connections supplémentaires entre ces hémisphères chez le gaucher expliquent en partie ce don pour les mathématiques.

En résumé, être gaucher, c’est le pied ! (gauche !) Bon, ok, je suis pas drôle ! Il est temps que j’aille me reposer !