La semaine dernière, je me suis analysée. Me regarder le nombril, c’est ce que je fais le mieux, et c’est ce que font tous ceux qui ont un blog, non ? J’ai l’impression que personne n’est comme moi. Vous allez me dire que chaque être humain est unique. Ca, je le sais. Mais moi, je suis persuadée d’être vraiment différente des autres. Quelqu’un m’a dit récemment que je semble avoir une vie intérieure bien plus riche que la plupart des gens. Ce n’est pas faux. Je crois que je ressens tout plus intensément que les autres, que ce soit pour les choses positives ou négatives. Quand je suis heureuse, je le suis immensément. Quand je suis malheureuse, ma souffrance me submerge et me paralyse. Je suis entière, passionnée, tenace et perfectionniste. Ces traits de mon caractère sont ceux qui plaisent le plus chez moi. Les personnes qui me connaissent un peu admirent mon implication dans tout ce que je fais, dans tout ce que je vis. Ces mêmes personnes finissent par trouver toutes ces belles qualités détestables au bout de quelques semaines ou de quelques mois.
J’aimerais parfois ne pas être comme je suis. J’en ai marre de prendre les choses trop à cœur. J’ai appris au fil du temps à relativiser certains problèmes mineurs du quotidien alors que ces mêmes problèmes m’auraient ruiné le moral il y a quelques années. J’ai aussi réussi depuis mon long arrêt maladie à être beaucoup plus détachée quand j’ai des soucis au boulot. Après tout, nous ne sommes plus en 2005-2006. Les périodes de grosse pression, start-up oblige, sont de vieux souvenirs. Mon chef ne me demande plus le vendredi soir de partir à dix mille kilomètres le lendemain. J’arrive à ne jamais bosser après 20h30 (pourvu que ça dure, car ce n’est pas le cas de tout le monde dans cette boîte malheureusement !). Cela m’amuse presque quand ma petite stagiaire me dit que le boulot la stresse. Mais qu’est-ce qui est si stressant dans notre travail ? Qu’aurait-elle dit si elle avait travaillé avec nous il y a quatre ans ? J’admets que je suis parfois agacée par certains événements au boulot (j’en avais par exemple parlé ici), mais je ne me sens pas vraiment stressée. J’organise, je gère le temps. Et je me débrouille plutôt bien, le boulot est fait. Je m’attache autant à la forme qu’au fond, je veux que tout soit "parfait". Je relis mes rapports, je les mets en page, je corrige les fautes, je vérifie que je n’ai rien oublié (c’est d’ailleurs très amusant, car j’ai beau essayer d’atteindre un haut niveau de qualité, ce n’est jamais assez bien pour mon chef, qui est encore plus exigeant que je ne le suis moi-même...Il y a donc des gens encore plus pointilleux que moi, c’est fou !). Ma stagiaire n’a pas assez confiance en elle, alors elle m’envoie ses rapports pour que je les examine avant de les envoyer à plus de monde. Ces relectures me font perdre un temps fou...Depuis mercredi dernier, je lui ai dit que je ne voulais plus relire ses rapports. Elle va devoir assumer ce qu’elle écrit. Je pense que je lui rends et je me rends service. Je suis perfectionniste mais je dois déléguer. C’est déjà suffisamment usant d’être exigeante envers moi-même. Je lui fais confiance, elle sait ce que j’attends, et elle est assez autonome maintenant. De toute façon, je suis actuellement en vacances, il faut bien qu’elle se débrouille sans moi. Toutes ces considérations sur ma personnalité me font penser à Bruno (le lecteur et ancien auteur de blog que j’avais rencontré l’an dernier), qui avait écrit un texte très intéressant sur le thème du perfectionnisme. Bruno y expliquait notamment que le perfectionnisme est "l’expression d’une souffrance" et rend incapable de profiter de l’instant présent. Je ne peux que confirmer ces points (même si je ne suis pas d’accord avec d’autres éléments de son texte). Je me rends bien compte que ces exigences envers moi-même, que je suis d’ailleurs la seule à m’imposer, sont aliénantes. Je me suis certes améliorée grâce à mon long arrêt maladie (cela doit être le seul point positif de cette pénible coupure), mais je sais que j’ai encore des progrès à faire. Enfin bon, très honnêtement, cela m’étonnerait quand même que je change radicalement d’un jour à l’autre.
D’où me vient ce caractère ? Je crois que quand j’étais gamine, j’ai beaucoup souffert des critiques de mon père à mon égard. Pour lui, rien n’était jamais assez bien. J’avais beau être la première de la classe, il n’était jamais content. Il prenait souvent un malin plaisir à me rabaisser et à m’humilier, à me dire que j’étais "nulle", "bonne à rien", que j’allais redoubler (euh, si on fait redoubler la première de la classe, tous les autres ont du souci à se faire !). La remarque de Bruno prend tout son sens. Mon perfectionnisme est bel et bien "l’expression d’une souffrance", mais pas d’une souffrance actuelle. C’est la souffrance d’une petite fille qui est critiquée et qui ne se sent pas aimée par son père. Comment une petite fille qui démarre sa vie de la sorte peut-elle devenir une adulte confiante en elle et en ses capacités ? Comment cette femme tourmentée peut-elle croire que les autres vont l’aimer si elle n’a reçu que des critiques pendant l’enfance alors qu’elle faisait de son mieux pour être "irréprochable" ? N’est-ce d’ailleurs pas complètement stupide de croire qu’il est nécessaire d’être parfaite pour mériter la considération, l’amitié ou l’amour de quelqu’un ? Mes yeux deviennent humides. Tout s’explique à présent et cette prise de conscience m’oppresse. Voilà pourquoi je souffre autant aujourd’hui du comportement de l’homme dont je parlais ici. Je croyais avoir tout fait pour que notre relation fonctionne. Je pensais lui avoir donné tout ce qu’un homme pouvait espérer : amour, preuves d’amour (je pense notamment au fait d’avoir rompu avec D.K. pour vivre notre amour à deux et non à trois et à ce que nous avons partagé ensemble à Rome), tendresse, sexe, respect, compréhension, petites douceurs maison pour ravir ses papilles, surprises et initiatives variées pour tenter de lui faire plaisir...Et au lieu d’être comblé, cet homme m’a rejetée comme mon père l’a fait pendant toute mon enfance. Je fonds en larmes. C’est donc pour cela que cette séparation me rend malade : cette blessure a réveillé un traumatisme d’enfance. J’ai mis des années à essayer de me construire malgré les humiliations que j’ai subies quand j’étais enfant. Et là, tout s’écroule comme un château de cartes. Cette CyCy si "parfaite", si agaçante dans sa quête de perfection, elle n’existe pas. C’est du pipeau, du flan complet. Il y a juste une petite fille qui souffre.
Forte de cette découverte, je vais pouvoir dormir sur mes deux oreilles ce soir. Je viens d’économiser au moins dix séances chez un psy. De quoi m’acheter des lustres et des tringles à rideaux de luxe...Et oui, maintenant que j’ai des ébauches de réponses pour mes problèmes intérieurs, je peux m’occuper de mon autre intérieur ;-)